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Je fus à sa hauteur en deux foulées. Il faisait face à la pâtisserie la plus courue de Pont-Audemer, immobile, un peu voûté sous son blouson terne de demi-saison, et j’ai prononcé les deux syllabes de son prénom, doucement, pour ne pas le faire sursauter. – Laurent... – Toi ? – Je suis presque chez moi ici. Mais toi ? – Viens. Je réfléchissais... Viens boire quelque chose, j’ai le temps. – Le temps, c’est ce qui nous a manqué ? – Ce n’est pas exactement mon impression. Tu as filé comme un voleur. – Comme (...)
5 juin 2012, par Muriel Friboulet
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Lui : C’est quoi son blase à votre expert ? Un double rien ! Zéro total ! Croûte ! Vandale sans savoir ! C’est où qu’il prend ses notes, l’animal ? Chez Télérama spécial ? Le Pastiche comme vous l’avez jamais lu ! Un vide ! On regarde, c’est tout blanc… blanc perdu de réputation ! Malheur à lui… il a pas dû dépasser les trois premières lignes ! Et encore, je rallonge pour pas trop médire, j’le flatte l’ingrat bonimenteur ! Le tarzan de bibliothèque minus ! L’expert nain ! Parole, c’est Le Pastiche qui vous (...)
31 mai 2012, par Jacques Cauda
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X
À Sacha Guitry
Je me souviens que Swan devait dîner ce soir-là chez les Verdurin, quand, vers six heures, un billet d’Odette de Crécy l’informa qu’elle souhaitait passer la soirée avec lui, pour qu’ils entendissent ensemble le ténor varsovien Skotchviski dans son interprétation du rôle de Tristan, car, assurait-on, nul autant que ce Polonais n’en avait mieux rendu, selon la tradition wagnérienne, les nuances passionnées. Malgré l’agrément qu’il pouvait espérer d’un tête-à-tête souhaité avec (...)
10 décembre 2012, par Charles Müller,
Paul Reboux
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Albes draps, repos calme, ô chambre Où je rentre au Quartier Latin, Ce soir, bien plutôt ce matin ! Soir, matin, en tout cas : décembre.
Les habits sont jetés par-ci Par-là, puis le sommeil me hante. Mais quelle odeur fragre, flagrante, Berçante, alliciante aussi ?
Parfum des extases anciennes, Est-ce, fades mais grisants, vous Qui cernez de tourbillons fous Mon âme, ô vol des amours miennes ?
Non. Vraie est cette exhalaison De senteurs pas trop définies. Elle sort de mes mains unies Pour la très (...)
16 novembre 2012, par Charles Müller,
Paul Reboux
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Ah ! Le vrai beau dégueulis, la vision d’enfer. Quand on arrive, on y croit pas, tellement le village respire la bonne pierre et le droit chemin. Saint-Romain au Mont d’Or… le joli nom, une icône sortie des Légendes, une sagesse de bénitier, des rentiers qui cirent leurs façades.
Et puis là derrière le mur, ça sort de partout, ça déborde, ça éclate, ça vous pète à la figure. Une orgie de fer et d’acier, la maison du chaos. J’hallucine, j’y crois pas.
Fini le Domaine de la Source, fini la tranquillité (...)
7 janvier 2013, par Isabelle Rambaud
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Pour les deux Joachim. Joachim Sené, bien sûr, et celui du Bellay.
Heureux qui à New-York a fait un beau voyage, Cueilli sur gratte-ciel un reflet de saison, Traversé Brooklyn Bridge en pleine lunaison Vu valser à Times Square une ronde d’images.
Il fait la gueule, hélas, à son petit village, Regrette Central Park, Fifth Avenue, Madison, Et pour le faste fou de la Frick Collection Donnerait tout Beaubourg, le Louvre, et davantage.
Car plus que le séjour qu’ont bâti ses aïeux, Lui plaît dans la (...)
23 novembre 2012, par Magali D.
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– Allô ? Patrick ? – Lui-même. – Maryse à l’appareil. Tu te souviens de moi ? – Oui. – Ça fait longtemps, hein ? Tu es libre ce soir ? – Heu… oui.
Je n’ai pas osé lui refuser ce rendez-vous devant la gare d’Orsay. Maryse. Mais quel était son nom ? Elle faisait partie de notre groupe autrefois lorsque Mocroy, Sanchez, Masoure et moi transportions les valises des voyageurs, gare Saint-Lazare, pour nous faire de l’argent de poche. Je ne l’avais pas revue depuis l’accident de Sanchez. Que me voulait-elle à (...)
3 décembre 2012, par Pascal Rongveaux
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Au printemps, quand les dimanches étaient propices, Charles prit l’habitude d’aller à la pêche. Il partait tôt après avoir minutieusement préparé son attirail, ses lignes, son panier, ses appâts, son parapluie tout délavé, son tabouret. Il ajoutait dans sa besace du pain, du lard, des biscuits, une bouteille de vin rouge dont il ferait son repas. Puis il descendait la grand’ rue d’Yonville, chargé comme un baudet, la silhouette indécise et pesante, engoncé dans son lourd manteau usagé tandis que, sur les (...)
26 novembre 2012, par Isabelle Rambaud
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Mon cher Roger,
Miracle ! Extase ! Zeus condescend, en personne. Me téléphone à moi. Je l’avais honoré d’une milliardième épistole dos au mur : Voyage et M à crédit dans la Pléiade très très vite, n’essayez pas de m’enterrer je bouge toujours, la thune à la signature s’il vous plaît Éditeur Formidable, sinon je m’en vas ailleurs où l’on m’appelle très gentiment, ce qu’il sait. Gallimoche sait tout.
Tout d’un coup, la Pléiade pour laquelle je gémis, rugis, supplie, menace, crisse et hérisse inutilement à m’en (...)
3 janvier 2013, par Héléna Marienské
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À A. RMBD
R noir, M vert, B blanc, D violet : consonnes, Je dirai quelque jour l’uvulaire dormante : R roulant noir tambour, défaites éclatantes Sous la botte prussienne, au fond d’un Val, personne
Sinon le Dormeur mort ; M vert, laine d’automne, L’amant au vent mauvais, c’est toi, et moi l’amante, Ou bien vice-versa, tous les vices nous tentent, Vert espoir de l’absinthe, un coup de feu détonne ;
B blanc d’Aube d’été, voiles du Bateau ivre, Illuminations dans les festons du givre Qui barbouille la (...)
17 décembre 2012, par Magali D.