« C’était une obsession qui empêchait, nous affirmait-on, les meilleurs d’entre nous de respirer, de manger, de copuler. » — Voyage au bout de la nuit
Le projet est une espèce primitive évoluant sur toute la surface du globe depuis une origine ancestrale, et également dans l’espace depuis moins de cinquante ans (d’après Sylvester Bien, évolution planifiée depuis longtemps, en tout cas en ce qui concerne la destination lunaire – S. Bien con Cray, 2003). On estime que le projet descend de la famille des idées, sans doute par un croisement avec un certain type d’envie, ce qui expliquerait les différences significatives observées avec la révélation et l’illumination (sans toutefois que l’on puisse en faire un dessein : le projet serait plus proche de l’intention ou du plan). Il a lui-même donné par mutation la série des complots et machinations, aujourd’hui facilement identifiables grâce aux progrès technologiques. Malgré sa grande abondance en tout lieu et à toute époque, le projet reste pourtant une espèce mal définie en raison du peu d’études qui lui ont été consacrées. En outre, le projet s’accoutume mal de la captivité, comme l’ont montré les tentatives menées en Allemagne ou en Russie au milieu du siècle dernier.
Asexué, le projet appartient à l’unique espèce dont la procréation peut s’opérer à plusieurs (Daniel Zir a d’ailleurs montré qu’elle se révélait facilitée lorsque certaines conditions météorologiques particulières étaient réunis, et notamment durant les tempêtes – Brainstorming, D.Zir & al. 1967). Très léger à la naissance, souvent solitaire, le projet lorsqu’il parvient à maturité peut prendre des proportions considérables et généralement insoupçonnées. Il est alors capable de se nourrir par lui-même, et n’hésite pas à engloutir ses congénères de plus petite taille. Il se contente parfois de les dresser à sa cause, pour ensuite entretenir avec eux une relation qui semble proche de la vassalité, les plus faibles étant chargés d’alimenter le puissant. Il arrive également que le projet opère une mue à la fin de son existence, pour renaître sous forme d’exécution ou de réalisation (Albert Xion met en doute cette observation, argüant qu’il s’agirait de deux individus bien distincts dont le rapprochement n’a jamais pu être prouvé. Pour plus de détail, voir A.Xion & Ray, A.Xion, 1996).
On constate toutefois qu’il est rare pour le projet d’arriver à l’âge adulte. Bien que nous lui connaissions quelques prédateurs, comme les dettes ou la consomption (qui représentent un véritable péril dont il doit se garder, au même titre que ses congénères plus matures), c’est à un phénomène encore mal expliqué que le projet doit le plus souvent sa disparition. Nommée « mort subite du projet » ou encore PFFOUIT (Projet Faisable Finalement Oublié & InabouTi), cette singularité touche l’immense majorité des projets naissant. Elle se caractérise par une stagnation de la croissance, due à la cessation de l’alimentation, de la ventilation et des activités primaires de l’individu. Les premières théories pour l’expliquer avancèrent l’existence d’un virus comme celui de la flemme, auquel la population plus âgée ne serait plus sensible. Allan Lonzy récemment, en un article publié dans Nature (A.Lonzy, 2008) propose une interprétation différente et pour le moins étonnante : selon lui, ce serait au contraire un excès de santé qui mènerait le projet à une sorte de suicide inconscient. Le sujet trop sain, se retrouverait en quête d’une perfection inatteignable, rendant inacceptable toute activité triviale, auquel il refuserait ainsi inconsciemment de s’astreindre, entraînant irrémédiablement sa perte. D’autres recherches en cours devraient permettre d’étayer ou d’infirmer cette hypothèse assez rapidement.