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Vertus du pastiche : formation de l’auteur, formation du lecteur

lundi 5 septembre 2022

Maëlle Levacher et son éditrice nous autorisent à reproduire ici ce texte issu d’Écrire - 30 ateliers pour assouplir sa plume (pp. 197 et 198) qui vient de paraître chez Ellipses. Merci à elles. FG

Le pastiche, imitation (sérieuse ou parodique) du style des grands auteurs, fut longtemps une technique de formation de l’auteur novice, et un jeu littéraire. Des auteurs contemporains continuent la tradition du pastiche littéraire (en témoignent, par exemple, le site « pastiches.net », ou l’ouvrage de Pascal Fioretto Et si c’était niais ?), mais elle n’a plus guère la cote auprès du grand public comme elle l’avait au temps de Reboux et Müller. C’est que le grand public n’a peut-être plus les références littéraires lui permettant de jouir du sentiment de complicité que procure l’imitation, et que le culte de l’originalité mal comprise lui fait croire que le pastiche n’est que l’ombre de ce qu’il a pris pour objet, qu’il n’est pas une création, qu’il est conformiste, qu’il reconduit les classiques poussiéreux, et que ce faisant il embourgeoise le goût. Les imitations habiles sont pourtant supérieures aux médiocrités originales ; la valeur en soi du pastiche littéraire a été illustrée par les plus grands auteurs (Proust).

Le pastiche fut d’autre part une pratique scolaire, une technique d’apprentissage de l’expression écrite :

« Le pastiche est l’imitation artificielle et servile des expressions et des procédés de style d’un auteur. Les écrivains originaux, c’est-à-dire ceux qui ont des tournures caractéristiques, sont les plus faciles à pasticher. [...] Le pastiche ne peut être qu’un exercice de gymnastique littéraire. Il n’a de valeur que comme moyen de métier, et n’est pas un but pour lui-même. Des écrivains ordinaires ont réussi d’excellents pastiches. » (A. Albalat, La Formation du style, p. 57 et 59 ; italique d’Albalat.

La pratique du « à la manière de » est de nos jours encore encouragée par l’Éducation nationale, mais plutôt que sur le style, elle porte sur les formes de la narration, l’énonciation, les codes d’écritures médiatiques. Le système scolaire n’ambitionne pas de former des écrivains mais prétend donner à tous les clés de la compréhension des textes (littéraires ou autres). Dans les facultés des Lettres françaises, on n’apprend pas à écrire mais à lire, on devient un lecteur professionnel capable, en étudiant un texte, d’expliciter ses idées et leur mode d’expression, les procédés choisis par l’auteur dans le but de produire tel effet sur le lecteur. On pensait pourtant autrefois qu’imiter un auteur apportait justement la compréhension de son savoir-faire. Pour A. Albalat, « attraper la manière d’un auteur prouve le profit qu’on a tiré de sa lecture. » (id., p. 59) Mais il s’agissait peut-être de la saisir intuitivement, plutôt que d’en rendre compte explicitement.

Par la pratique pédagogique du pastiche, on apprend à lire plutôt qu’à écrire. Leur faire faire des pastiches, c’est donner aux gens l’occasion d’ouvrir la « boîte à outils » des écrivains, de découvrir combien nombreuses étaient les manières de dire une même chose et pourquoi telle manière était la meilleure, de comprendre comment on peut faire passer quelques lignes du statut de texte à celui d’œuvre d’art. Karl Kraus remarquait que, contrairement au musicien et au peintre, « l’écrivain donne forme à un matériau qui est accessible à tout le monde : les mots. C’est pourquoi tous les lecteurs se permettent de juger son œuvre. » (p. 7) Bien des lecteurs croient que, parce qu’ils déchiffrent mots et phrases, ils comprennent un texte. Mais un texte littéraire n’est pas la somme de ses parties morpho-syntaxiques et de ses éléments sémantiques, pas plus qu’un tableau n’est la somme de ses pigments, des ses liants et de ses motifs. Lire de la littérature, cela s’apprend ; c’est comprendre non seulement ce qui est dit, mais comment c’est dit.

On s’inquiète parfois de ce que tant de gens se prennent pour des écrivains, accablant les comités de lecture des maisons d’édition par des propositions immatures et inconséquentes. On demande si la multiplication d’ateliers d’écriture et de manuels ne risque pas d’encourager ces velléités immodérées. Je crois le contraire. Dans le cadre des ateliers que je mène, et dans l’esprit de cet ouvrage, écrire n’est pas un but, mais un moyen. L’imitation me semble la meilleure manière d’assimiler les façons de faire de ceux que l’on imite, et ainsi de mieux les lire, de mieux les comprendre, de mieux leur rendre justice, de mieux les traduire le cas échéant. Il me semble que plus une population se forme à l’écriture, mieux elle se forme à la lecture, plus elle devient capable de comprendre la littérature. Dans le même temps, elle reconnaît ses limites, admet le chemin qu’il lui reste à parcourir pour espérer atteindre une maîtrise supérieure, mesure la distance qui la sépare de celui dont c’est le métier d’écrire. L’intérêt des auteurs et des éditeurs est de voir s’élever les capacités à écrire du public, dans la mesure où s’élèvent avec elles ses capacités à lire. Quant à l’aspirant écrivain, s’il a la déception de se découvrir hors-jeu par la fréquentation d’ateliers et de manuels, il en tire au moins la dignité qui accompagne toujours la lucidité, et il faut lui souhaiter que jamais le plaisir d’écrire pour le plaisir, le sein et celui de ses proches, ne lui soit refusé. C’est la conclusion sincère d’une enseignante qui, en tant qu’animatrice d’ateliers, se trouve « proche » de jeunes gens qui écrivent, avec ou sans prétentions, et pour qui c’est toujours une joie de partager leur plaisir.

Maëlle Levacher

Levacher, Maëlle. Écrire - 30 ateliers pour assouplir sa plume. Paris : Ellipses, 2022. 208 pages.

Voir en ligne : Écrire - 30 ateliers pour assouplir sa plume, sur le site de l’éditeur

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