Article de Éric Dussert paru dans le Matricule des anges n° 93 (mai 2008). Repris ici in extenso. Je considère cette revue comme la référence en littérature. FG
Répertoire de pastiches et parodies littéraires des XIXe et XXe siècles
Des salons du XVIIIe siècle aux moqueries populistes de l’entre-deux-guerres, le pastiche est un monstre protéiforme qui occupe tout entier l’espace littéraire. Démonstration avec Paul Aron.
On a tôt fait de considérer le pastiche comme un genre d’exercice littéraire mineur. Et, bien sûr, on a tôt fait de se méprendre. Paul Aron, un universitaire belge de la belle espèce versé dans ces matières ambivalentes, s’est chargé de retracer l’histoire d’une pratique troublante qui, de l’astuce badine des salonards du Grand Siècle à la mise en miroir post-moderne, semble un moteur des plus puissant de l’art littéraire depuis les siècles des siècles. Qui, depuis Rabelais a donc inventé quoi que ce soit ? Et Rabelais lui-même, que n’a-t-il emprunté aux Anciens ?
De la parodie au clin d’œil, le pastiche est un Protée qui, passant par tous les états du texte peut être une saillie vacharde, un hommage aux grands stylistes, un simple et cocasse remplissage à la six-quatre-deux de colonnes journalistiques, une fantaisie baroque et érudite, un entretien imaginaire, un pamphlet, une cocasserie sans but, et même un autopastiche. C’est un art aussi scolaire que spirituel : le pastiche fit des victimes et des gloires, s’accrocha comme un lierre à quelques écrivains de renom (Hugo, Zola, Maeterlinck, etc.) et composa au bout du compte une ahurissante guirlande d’écrits qui chaîne depuis quelque origine références sur références jusqu’à Lautréamont, Marcel Proust, Guy Debord.
S’il fallait redorer le blason de Charles Nodier, de Lemercier de Neuville et d’une poignée d’autres farfelus adeptes de la fantaisie gracieuse, gratuite, ludique et même assassine, Paul Aron aura réussi son coup. Plus encore, il nous aura apporté des lumières décillantes sur les ateliers du fabricant de centons, sur Lautréamont et même sur Marcel Proust dont l’œuvre aurait pu tout aussi bien tourner ailleurs si la rivalité du conservateur Paul Reboux n’avait pas poussé notre Grand Auteur à l’expression singulière, mais pastichante, des us et coutumes d’un monde, le sien.
Déformant, triturant, malaxant, les pasticheurs ont toujours été parmi nous, malicieux, narquois, mystificateurs mystérieux et, parfois, lumineux. Au décalque de la littérature, entretien.
Comment vous êtes-vous plongé dans le pastiche ?
Par étapes successives, de plus en plus profondément sans doute. Comme bien des lecteurs, je pense, j’ai découvert le genre pendant mes années d’université lorsque je me plongeais avec délectation dans les À la manière de... de Reboux et Müller. Et que pour éviter l’ennui des commentaires de textes de l’un ou l’autre enseignant, je pastichais pour mon compte les gloses pseudo-savantes que l’on nous faisait ingurgiter. Puis, vers 1995, parallèlement à la confection collective du Dictionnaire du littéraire (PUF, 2002), je me suis mis à chercher un sujet qui permettrait de sortir du cadre de la littérature belge et qui prendrait acte des enseignements du dictionnaire. J’ai commencé à présenter des exposés dans divers colloques sur le pastiche littéraire, du XXe siècle d’abord, des autres périodes ensuite. Les discussions avec des collègues m’ont fait prendre conscience qu’il y avait là un véritable objet pour une sociologie historique. J’ai donc plongé...
Comment distinguer la parodie du pastiche ?
La parodie désigne souvent un registre autant qu’une technique mimétique proche du pastiche. Cette parenté justifie le fait que nombre de critiques ont tenté de les différencier. De fait, si le pastiche tend vers la ressemblance, la parodie se contente d’une relation lâche au modèle (il lui suffit que le lien soit reconnaissable), elle renvoie seulement à un nom, à une œuvre ou à un fait connu du destinataire. On ne peut donc la mettre d’emblée sur le même pied que le pastiche sur le plan de la fidélité mimétique. Dans le domaine des lettres toutefois, le pastiche ou la parodie produisent des textes issus de transformations d’un original. De ce point de vue, ils sont comparables. Et nombre d’auteurs refusent de les distinguer : même Reboux et Müller, ces parangons du genre, ont écrit des textes qui sont autant des pastiches que des parodies. Par ailleurs, la parodie possède un registre correspondant : le parodique, ce dont le pastiche ne dispose pas. Ainsi toutes les parodies produisent du parodique, tandis que seuls certains pastiches sont parodiques. Inversement, il est des parodies qui entretiennent un lien trop vague avec un texte source pour être qualifiées de pastiches.
À quoi tient que l’histoire des lettres mette la parodie et le pastiche dans le tiroir des genres mineurs ?
L’imitation parodique est considérée comme vulgaire parce qu’elle ne montre pas de respect envers ses modèles. Elle reste souvent approximative et n’hésite pas à utiliser des procédés comiques assez grossiers. Comme elle a été particulièrement en vogue sur les boulevards et dans la presse, donc loin des lieux les plus légitimes de l’activité littéraire, et de nos jours à la télévision surtout, elle n’accède pas facilement à la reconnaissance. Certaines formes de pastiche en revanche, parce qu’elles témoignent d’une compétence culturelle indiscutable, échappent à ce rejet. Ceci confirme la distinction que l’on faisait au début du XVIIIe siècle entre « bonne parodie » et « parodie vulgaire ». Il en est resté une sorte d’ombre portée sur le pastiche, toujours susceptible d’être qualifié de simple divertissement ou de jeu sans grand intérêt.
Toutefois, comme j’ai essayé de le montrer, il n’y a souvent qu’un petit pas à franchir pour que le pastiche intervienne directement dans les débats littéraires.
L’imitation des classiques à fin pédagogique y fut-elle pour quelque chose ?
Certainement. C’est sans doute la seconde raison de cette mise à l’écart. Pendant très longtemps, le pastiche a été une activité pédagogique, comme l’étaient l’amplification de texte, la transposition d’un style dans un autre, ou la réécriture d’un texte versifié en prose. Dès lors, il n’avait pas, en soi, de valeur littéraire. On pourrait dire que l’étonnant, dans l’histoire du pastiche, est que les écrivains ont, à un certain moment, transformé cette pratique scolaire en moyen d’expression littéraire, à des fins ludiques ou parodiques.
Charles Nodier n’est-il pas grandement responsable de ce changement de perspective ?
Oui, le rôle de Nodier dans l’histoire du genre est considérable. Il a repris la définition qu’en donnait Marmontel et il lui a donné une certaine légitimité. Dans ses Questions de littérature légale, il en publie des exemples anciens et contemporains, manière de dire qu’on ne peut plus désormais ignorer cette réalité de la vie littéraire. Mais surtout, dans ses écrits, il en fait un usage particulièrement intéressant, lié à la catégorie de l’imitation, qui produit une ambiguïté permanente. Les textes de Nodier sont toujours à la fois personnels et empruntés à d’autres, et la manière dont il définit son originalité par des reprises avouées est typique de la période de transition entre classicisme et romantisme. Cela donne à ses fictions une dimension très moderne, que les auteurs fin de siècle reprendront, sans rappeler, hélas, le rôle de cet écrivain qui demeure trop méconnu ou trop enfermé dans le genre du récit fantastique.
Quels sont les rapports du pastiche et du pamphlet ?
Comme dans le cas de la parodie, le pastiche peut alimenter un propos polémique ou pamphlétaire. Ce genre bref est destiné à une circulation large et rapide. Sa portée, en conséquence, est liée à un effet de contexte. Ainsi vers 1651-1652, les mazarinades se servent de toutes sortes de procédés de détournements pour attaquer le cardinal de Mazarin : dialogues des morts, lettres supposées, pamphlets imitant les défauts de prononciation du ministre, etc. On en connaît plusieurs milliers, en prose surtout, mais aussi en vers. Parmi les imitations du style oratoire ou épistolaire de personnalités connues, outre Mazarin, le pastiche du Duc de Beaufort par Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz (1613-1679), est certainement l’un des plus célèbres. Désigné par Retz dans ses Mémoires comme un pamphlet contre le Duc rédigé « en son jargon », le texte parodie la manière de s’exprimer d’un homme qui « savait tous les mots de la langue, mais les employait fort mal ».
Le pasticheur a-t-il besoin d’une tête de turc ?
Les pasticheurs apprécient les auteurs célèbres dont l’écriture est fortement typée. Les métaphores hugoliennes, la longueur de la phrase de Proust ou la ponctuation de Céline sont des traits de style aisément reconnaissables, qui facilitent le travail. Mais de surcroît, et ceci revient en partie encore à la question précédente, le pastiche est rarement neutre. Il permet aux auteurs de dire leurs préférences, ou de caricaturer ce qu’ils n’apprécient pas. Il est certain que la rivalité entre Proust et Paul Reboux n’est pas étrangère aux propos de ce dernier contre l’auteur « sédatif » de la Recherche. On pourrait multiplier les exemples.
Quels sont, à vos yeux, les meilleurs pastiches ?
Difficile à dire. Les pastiches qui ont un comique intrinsèque, indépendamment de leur prouesse imitative, sont évidemment les plus accessibles, et la recette mise au point par Reboux et Müller, et poursuivie par un Georges-Armand Masson ou un Patrick Rambaud, — c’est-à-dire un texte cocasse même pour ceux qui n’ont pas lu l’auteur pastiché, avec souvent une part de gauloiserie ou de comique appuyé — a fait la démonstration de son efficacité. Mais plus finement, les pastiches de Jules Lemaître, qui annoncent les nouveaux succès de la saison littéraire, ou ceux d’Eugène Vermersch ou de Mousk qui, dans La Vie parisienne, se moquent des auteurs en vogue, sont également très remarquables.
Quelle est l’actualité du pastiche ? Et son avenir ?
Souriant. Je suis convaincu que le pastiche reste un genre usité, même si les motivations des pasticheurs ont changé dans le cours de l’histoire. Dans le monde académique, il y a plusieurs thèses en préparation sur le genre, et pas seulement en France, et l’un ou l’autre colloque. Mais surtout, c’est le plus important, des écrivains le pratiquent encore avec esprit. Le répertoire bibliographique que je publierai le mois prochain aux Presses universitaires de la Sorbonne avec le libraire Jacques Espagnon comporte 3400 références pour les XIXe et XXe siècles. Depuis l’an 2000, qui est le terminus ad quem de notre travail, plusieurs recueils ont encore paru. Isabelle Rambaud vient ainsi de publier, pour le 1er avril 2008, un beau pastiche de Flaubert. Les sites comme ceux de Stéphane Tufféry (http://style.modedemploi.free.fr) ou de Patrick de Jacquelot sur Alexandre Dumas (http://www.pastichesdumas.com) sont des témoins attentifs de cette actualité. Enfin, dans des genres comme la bande dessinée, le cinéma, et la vidéo sur internet, de nouveaux pastiches arrivent chaque jour sur le marché...
Éric Dussert
Histoire du pastiche, Paul Aron, Presses universitaires de France,
297 pages, 23 €
Répertoire des pastiches et parodies littéraires des XIXe et XXe siècles, Paul Aron et Jacques Espagnon, Presses de l’Université, Paris-Sorbonne, 300 pages, 38 €