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Pour Olivier Cadiot

jeudi 6 octobre 2011, par Xavier Garnerin

Ici on ne voit rien, ça a été voulu par l’artiste, vous comprenez.

Clic-clac.

Né en 1941 à Bergenstatten, regardant dès son plus jeune âge couvert dans son couffin d’une couverture acrylique bleu fluo les vaches brouter le bas du paysage d’un œil écarquillé, ferme à large toit bien au-delà des fenêtres, air pur même pour les marmottes, dans la brise comme un fumet de crottin et vzoum c’est parti, maman lui tartinait à même la huche son quatre-heures avec ce qui devint plus tard le Nutella, grand-père sculptait à la veillée des femmes à gros nichons sur des pipes à couvercle, le père était taciturne et la petite voisine enroulait ses nattes blondes en macaron, quand on essayait de lui faire une bise c’était plein d’épingles. Pas besoin ici de prendre une photo, pour plus véracité voir couvercles. De boîtes. De chocolat.

Douteuses affaires familiales entre branches consanguines sur fond de tas de foin. Le taureau saute la barrière pour engrosser la mauvaise vache, tous les visages se renferment et subitement vérifient avec constance si l’horizon est bien horizontal. Le pasteur est sur le coup, sa femme sort juste du four la plaque de meringues avant la réunion au sommet. Tout ça filmé en noir et blanc. On pousse lentement la porte qui grince et on accroche son manteau à la patère. Gros plan sur le pot à café col de cygne posé sur le bord de la plaque en fonte du poêle à bois. Pour ne pas se brûler saisir l’anse d’un chiffon. Petites tasses étroites à bord doré à la con. On se croirait en Suède ou au ciné-club.

Ça dure des plombes.

Il allait à l’école en monoski. Et donc ici, vous pouvez le voir en portrait, au sortir de cette enfance heureuse. Très rare, très rare, en fait il détestait ça. Non qu’il ne soit photogénique mais déjà tout jeune préférait le néant. Disait dès sa seizième année que rajouter au réel sa copie, c’était quand même beaucoup contribuer à accroître le foutu le bordel. Comme quoi on n’échappe ni à son destin ni au sous-titrage des films US. Bref c’est lui, fuseau hyper tendu avec bretelles et petites pattes élastiques sous la plante des pieds, tongs fuchsia de chez Harold’s, veste Hugo Boss, tee-shirt orange Tatti marqué « So what ? » en Garamond corps 75, bowler-hat. Très fine moustache courant sur la lèvre supérieure. Finalement assez mexicain. Œil bleu.

Clic-clac.

Ici, dans le même costume, mais avec des palmes. À Bora Bora. Très rare aussi.

Clic-clac.

Bon alors si vous voulez bien me suivre je vais vous expliquer en quoi il est difficile de contourner cet artiste incontournable. Parce que je vous avais dit qu’il n’y avait rien à voir. Mais en fait c’est faux. Comme vous le voyez, nous sommes au milieu de quatre mille mètres carrés de murs blancs, on pourrait croire qu’il n’y a rien. Excusez-moi, mais c’est mon boulot, follow me please, just follow me, and what we see, then, what we see ?

In the middle of nowhere.

Rien, mais alors absolument rien. Nothing, nichts, nada. En revanche, le parquet en pur chêne d’Arcadie est remarquablement astiqué, tout à la main, à la cire d’abeilles bio traçable jusqu’à Saint-Pantaléon-sur-Bargeoire, je ne devrais pas vous le dire mais en fait ça a représenté du boulot pour une bonne vingtaine de Roumaines, ou de Bulgares, ou de Biélorusses, on ne sait pas très bien avec ces gens-là, de toute façon vous serez d’accord avec moi, l’art et la géopolitique n’ont jamais fait bon ménage, imaginez par exemple qu’on rachète là-bas de vieilles immenses statues de Staline pour les coller sur nos ronds-points, ça ferait quand même plus gai mais tout de suite on aurait affaire à des grincheux qui ne seraient pas d’accord, vous voyez, c’est ainsi que le monde tourne tout en restant bloqué à la base, mais je m’égare, je m’égare, représentez-vous tout de même les vingt – twenty zwanzig veinte – Roumaines ou on ne sait qui à genoux, astiquant le parquet le cul en l’air jusque tous les soirs au minimum deux heures du mat’, ça moovait je ne vous dis que ça, c’était complètement surprenant et presque beau.

Et complètement cohérent.

Parce que là, et je m’excuse de devoir être précis mais sinon on ne comprend pas, ce n’est pas qu’il n’y ait rien à voir, c’est que justement il y a rien à voir. Subtile différence liée à la suppression de la négation. In english : not that there is nothing to see, no, not at all, in fact what is to see is nothing.

Clic-clac.

Bon je sais, c’est conceptuel, mais je ne vais pas tout vous expliquer. L’art moderne, voyez-vous, c’est comme le ski à tremplin. Un inconnu saute plus loin que d’autres inconnus, et tout d’un coup le monde entier sait qui il est. On le reconnaît les doigts dans le nez à la couleur du casque et à la pub pour le mini-sauss’ en sachet avec pointillés pour découper sur la combi. C’est dur à vivre mais c’est comme ça. On accepte la règle ou non. À New York l’artiste avait construit une installation similaire au Mam. On a essayé de la faire venir pour l’expo, mais ça n’a pas été possible. Question d’assurance. Comme je vous le dis, tout ça est très conceptuel.

Clic-clac

Si vous pouviez arrêter de faire clic-clac, je sais pas, mais ça contribuerait au dialogue. Enfin, dialogue. Disons du moins que j’aurais un peu plus l’impression que vous m’écoutez parler. Parce que voyez-vous, moi, je ne peux pas faire deux choses en même temps. J’estime donc que soit vous prenez mal vos photos, soit vous ne comprenez rien à rien. Le « ou » n’est pas exclusif, d’ailleurs. Ma mère ne pouvait pas tricoter un pull en écoutant sa TSF. Ça la déconcentrait. Mais c’était en d’autres temps, où dès qu’on n’avait rien à foutre on avait à cœur de le faire aussi bien que si on bossait. La mentalité s’est perdue, et pourtant les couleurs perdurent. Camaïeux de gris, marronnasse et vert caca d’oie. Devaient à l’époque pas nécessairement bosser si bien que ça. C’est important de se souvenir. Bernadette C., ma psy, est doltoienne. La sixième année, la sixième année, après on n’apprend véritablement plus rien, juste un peu de flûte à bec au début du collège. Histoire d’essayer de faire le tri dans nos pauvres fondamentaux. Naturellement, son beau-père ne sortira de prison qu’en 2028. Moi, je sais pas.

Vaudrait peut-être mieux oublier.

En tout cas là, l’artiste, la crème de l’avant-garde. Pointant du doigt notre futur à tous. C’est peut-être conceptuel, mais ça pose quand même des questions.

Clic-clac.

Comme je vous l’ai dit, le parquet est super astiqué. Et si j’ai un conseil à vous donner :

Don’t use your flash.

Voir en ligne : Pour Olivier Cadiot, sur Mot compte double

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