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Compliment à l’adresse du ver de terre

jeudi 29 décembre 2016, par Charles Duttine

Dans les profondeurs de l’humus, le lombric a son royaume secret et nocturne. Animal délaissé, méprisé, il mérite pourtant notre intérêt et toute notre admiration.

C’est un être têtu et opiniâtre qui creuse inlassablement, fore ses galeries, aère la terre, la pétrit à sa façon, la rend plus meuble, voire l’enrichit. Sans le savoir, il est l’allié du jardinier. Non seulement il lui prépare les mottes en leur cœur, mais aussi, il avale goulûment les ennemis de l’homme au plantoir. Aussi quand celui-ci, au détour d’un coup de bêche, le fait surgir à la lumière du jour, l’amateur de jardinage le préserve, l’envoie un peu plus loin continuer son travail de sape, souterrain et propre au domaine des ombres.

Lui qui est habitué au noir si profond de la terre, qui vit inhumé en permanence, peut-être, est-il, lui et ses congénères, l’incarnation des âmes des humains disparus ? Il semble avoir perdu toute forme et sa peau ressemble à la nôtre, toute rose, diaphane et fragile. Son cheminement a quelque chose de timide et de craintif comme celui d’un être égaré. Ainsi, chaque plaine que nous foulons de nos souliers grossiers, pourrait-elle être – nous ne le savons pas – le pré de l’Asphodèle, là où sont réunis depuis des temps immémoriaux les esprits errants familiers de l’Hadès ?

Les enfants, ou les cruels s’amusent à lui rendre la vie impossible. Il se voit parfois, le pauvre ver de terre, sectionné en deux ou trois morceaux et chaque partie blessée doit alors poursuivre son chemin, d’une manière autonome, hésitante, frétillante de douleur et aller mourir un peu plus loin. Il se voit alors lentement dévoré par l’un ou l’autre de ses compagnons et vient rendre plus précieuse cette terre qui l’a vu naître et qui l’accueille une fois excrété. Il craint également les coups de bec, celui du merle, du corbeau et du goéland, sensibles à sa tendreté et à sa fraîcheur. À leur manière, eux aussi forent et perforent la terre à la recherche de sa chair.

Tout simplement, qu’il nous soit un exemple, ce lombric, si modeste, si banal, si gluant et si dégoûtant aux yeux de certains. Il rassemble en lui le sens de l’effort, celui du travail bien fait, l’amour de la terre et le compagnonnage avec les hommes.

Ouvrier incessant, il vaut bien ce petit éloge. Que chacun le récompense à sa façon. Il suffit, pour lui rendre hommage, de l’observer, de le contempler, de s’émerveiller à son passage lorsqu’il ondule ses anneaux, qu’il se contracte et étire ses muscles circulaires formant tout son corps. On se dit alors que la nature a fait si bien les choses que d’un animal quasi-caoutchouteux, elle a créé, pour nous, un ami et un modèle.

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