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L’antidote

lundi 12 septembre 2011, par Richard Lebeausale

Ils disparaissent dans les bouches creusées à même le trottoir. Ils, c’est nous, c’est eux, ce sont tous ces corps pressés tôt le matin levés pour aller servir. Que les rues soient ensoleillés, que les fleurs aux branches des arbres pleuvent leurs pétales roses et blancs sur le trottoir, que le vent soit chaud ou froid, que le ciel soit bleu ou écorce de neige prête à tomber pour tout verglacer, toujours, le matin, à huit heures, hors jours de repos établis, s’engouffre dans ces étroits couloirs une horde aux visages fermés dont les corps renferment toute une énergie, contenue, comprimée, prête à exploser à la moindre frasque.

Je conseillais récemment à un ami qui manquait cruellement de ressort, qui se sentait déprimé, pour ne pas dire triste, toute une vitalité envolée, d’aller prendre le métro. Plus rien ne l’intéressait, il restait seul, loin du monde, son dernier sujet de noirceur était lui-même et son âme tourmentée devenait le dernier objet capable de supporter le poids de toutes ses défaites et celui de tous ses vains espoirs. Je lui conseillais donc de s’en aller subir un bain de huit heures du matin en semaine. Je lui indiquai une station de métro où venir à pied et l’y retrouvai. Le temps était idéalement gris et la pluie cordialement menaçante. Les moins téméraires avaient préféré les tunnels pour seulement quelques rues et bientôt je sus que la pluie tomberait et augmenterait encore le nombre de mes antidotes.

Dans la première rame que nous vîmes décélérer, les gens touchaient du visage les vitres tandis que sur le quai les pointes des souliers frôlaient le vide surplombant les rails. Les regards d’abord défaits et compatissants les uns envers les autres, tout à coup se transformèrent quand le métro s’arrêta et que les portes produisirent le son caractéristique d’un piston qui libère sa pression, les visages devinrent masques de chacun pour soi. Dans la même seconde, les portes s’ouvrirent et les coudes jouèrent, je ne puis rien dire du bousculement des corps mais lorsque mon ami et moi fûmes rentrés, écrasés contre une épaule, une fesse, la vitre, une sacoche, il y avait toujours sur le quai autant de corps mais en mouvement et dans la rame autant de corps mais différents.

Ce premier contact fit imperceptiblement réagir mon ami. Je le vis jouer des coudes, lui aussi. Il était collé contre plusieurs vestes et le nez dans des cheveux peut être mal lavés, je le voyais se débattre mollement, mais au moins il se débattait ! Un combat avait pris naissance à l’intérieur et se manifestait. Mon remède produisait ses premiers effets.

À la station suivante, personne ne descendit et sur le quai c’était un nombre considérable qui se lamentait tout en se poussant pour rentrer. Mon ami prit un bras sur le nez et un pied sur son pied. Il chercha où respirer, écrasa le pied d’une dame et quand il se retourna pour s’excuser il cogna le nez d’un homme. Il fut soudain contraint par la force des choses à lâcher la barre métallique où il se tenait, c’est ce moment que choisit le chauffeur pour démarrer brusquement et mon ami se rattrapa à un bras. Il s’excusa mais ce qu’on lui répondit n’avait pas de mots : rien que des regards de haine !

Après une heure de ce remède comprenant le changement pour une ligne encore plus fréquentée via une interconnexion partiellement en travaux, mon ami avait trouvé tout le ressort nécessaire à la bousculade éhontée, à cette forme égoïste d’empathie du « je passe devant celui-là, je prends la place de celle-ci, je l’ignore et reste assis, ils feraient comme moi si ce n’est pire ». Je le vis pousser un couple de touristes hors d’une rame dont les portes allaient se fermer, je le vis lancer des regards mauvais à des enfants, je le vis donner des coups d’épaules dans des faces énervées. Il me distança pour sortir de notre dernière étape et quand je le retrouvai dans la rue il me cria dessus, m’injuria, me repoussa des deux mains, me donna des coups de pieds, tant que je tombai dans le caniveau tandis qu’il continuait ses coups, dans les côtés et le cou ; avant de foncer à travers une foule où je perdis sa trace.

J’étais heureux, j’avais aidé un ami.

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