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Se lire dans un miroir

mardi 24 mai 2016

à propos de Des pancakes le pastiche de Laurent Mauvignier

J’aime beaucoup les livres de Laurent Mauvignier. Ses romans Dans la foule et Des hommes figurent parmi les livres que je conseille le plus souvent avec, par exemple, Les Grandes Blondes de Jean Echenoz. Naturellement, j’ai voulu écrire un pastiche. Et en janvier 2010 est né Des pancakes. Je parlerai aujourd’hui de ma méthode pour écrire un pastiche, ce que j’ai retenu du style de Mauvignier et de sa réaction après lecture.

Une méthode

La première tâche pour pasticher un auteur c’est, selon moi, d’identifier ses marqueurs stylistiques, en se basant sur le nombre d’occurrences : les subordonnées, les adverbes, les temps et modes de conjugaison, la typographie… Une fois cette analyse purement formelle des éléments stylistiques terminée, il faut revenir au rythme de la phrase, à sa musique, et lire et relire, s’imprégner de la langue de l’auteur, de son souffle, avant d’écrire le pastiche. J’ai lu pratiquement tous les livres de Mauvignier (mais aussi tous ceux de Marie NDiaye, de Patrick Modiano que je pasticherai peut-être un jour).

Pour qu’un pastiche soit intéressant, il faut créer un décalage avec l’univers de l’auteur. Tous les moyens sont bons : lieu, époque, niveau social, situation. Ainsi, dans son excellent pastiche « Pour Proust » dans Chercher l’intrus, Xavier Garnerin place ses personnages dans un supermarché où ils achètent le nécessaire pour le barbecue qu’ils prévoient. Ce texte avec le style de Proust est hilarant. Pour Des pancakes, j’avais décidé de placer mes personnages aux États-Unis, lieu alors peu fréquenté dans l’œuvre de Mauvignier (ce qui n’est plus le cas depuis la publication de Autour du monde). La situation étant proche de celle de la domestique jouée par Catherine Jacob dans le film d’Etienne Chatiliez, La Vie est un long fleuve tranquille, qui ne sait pas comment elle a pu tomber enceinte. Je ne suis certes pas aussi drôle que Garnerin, mon ambition reste le sourire, à défaut du rire.

Le style Mauvignier (selon moi)

Mauvignier, et notamment dans Des hommes, mais aussi dans Ce que j’appelle oubli, possède un style caractéristique. Comme beaucoup, il utilise le style indirect, les dialogues sont insérés dans la narration : pas de deux points, pas de tirets, pas de guillemets, tout au plus consent-il à passer à la ligne pour éviter la confusion entre deux personnages dans un dialogue.

Ses phrases, plus ou moins longues, illustrent le travail psychologique des personnages et du narrateur, tout en méandres. Mais à l’inverse de Proust, sa phrase n’est jamais linéaire, parfaitement construite, au contraire, chez Mauvignier on cherche ses mots, on commence, on choisit un mot, puis on affine avec un adjectif, ou on change le mot initial pour un autre plus adapté, et on laisse toutes ces étapes, et le tout en limitant les subordonnées, en privilégiant la virgule, symbole de la respiration de la pensée. Pas d’architecture proustienne toute en subordonnées dans la phrase de Mauvignier, d’autant qu’il utilise l’accident, la rupture. Ainsi, comme ça nous arrive souvent, la réflexion, la description d’un sentiment peut s’arrêter net, soit parce qu’on s’aperçoit qu’on pense n’importe comment, soit parce qu’un événement extérieur nous interrompt, ou pour toute autre raison, et chez lui ça se caractérise par le tiret cadratin (ce signe —), implacable. Il utilise exactement le même procédé lorsqu’il s’agit d’un dialogue, quand un personnage est arrêté dans sa phrase, coupé : pas de points de suspension, mais le tiret donc, en fin de phrase, souvent suivi d’un passage à la ligne. Exemple avec la page 103 de Des Hommes :

D’accord, Solange, mais quand même, il est revenu. Il s’est installé ici parce qu’il voulait voir sa mère et revenir, recommencer ici. Et puis peut-être —
Qu’est-ce que tu vas chercher, Rabut, c’est fini. Tout ça c’est fini —
Non, Solange, pas fini.

Quand il s’agit de décrire, on l’a vu, il contourne, dans la structure même de la phrase, aussi parce qu’il n’utilise pas de mots clairs, il ne dit pas franchement qu’un personnage éprouve de la haine, il faut que le lecteur devine cette haine, elle est suggérée, avec des mots simples. Le vocabulaire est volontairement limité, placé au niveau de ses personnages, car l’auteur fait parler et penser ses personnages de manière simple mais aussi unique, chacun sa langue. Relire Dans la foule, pour s’en convaincre. Impossible de se tromper, on sait qui parle à sa façon de parler, et c’est indispensable quand on utilise le style indirect.

On note aussi le désert adverbial. Alors que Marie NDiaye utilise beaucoup d’adverbes, notamment pour pervertir les verbes, Laurent Mauvignier, lui, les fuit. Le minimum vital dans Des hommes, pratiquement le désert dans Ce que j’appelle oubli. En contrepartie, c’est la profusion au niveau du participe présent qui en devient même presque le mode de conjugaison privilégié. Nombre de phrases ne contiennent qu’un verbe au participe présent. Mais contrairement à Claude Simon (et Faulkner donc), pas pour remplacer les conjonctions de subordination, plutôt pour exprimer, sinon la lassitude de celui qui raconte, l’inéluctabilité des événements qui s’enchaînent. Inéluctablement les événements aboutissent au drame du Heysel, inéluctablement un jeune périra sous les coups de ses bourreaux...

Souvent aussi, des phrases sans verbe, voire un seul mot. Pour arrêter la lecture, inciter à une pause. J’ai utilisé ce procédé à deux reprises dans mon pastiche. Exemple chez Mauvignier, page 250, même roman :

Et puis. Puis rien.
Rien

Enfin, marqueur fort, souvent associé au participe présent : et. Beaucoup de phrases commencent par « et ».

Correcteur de luxe

Le 15 octobre 2013, après une discussion avec Claro au sortir d’une rencontre à la Maison de la poésie de Paris, je me décide à envoyer mon texte à Laurent Mauvignier, mû par la curiosité de connaître sa réaction. J’envoie ma lettre aux éditions de Minuit et le 24 décembre 2013, je reçois sa réponse.

Il m’écrit s’être amusé en lisant mon texte et le prend comme un hommage. Mission accomplie ! J’ai attendu trois ans pour en parler ici.

Mieux, il m’indique tous les passages qui lui semblent perfectibles. Pas assez de virgules sur la fin, trop « propre », parfois trop rapide (c’est le problème d’un texte court qui se veut résumé du style d’un auteur), trop explicite aussi. Bref, plein de petites choses, que je viens de prendre en compte, avec la nouvelle édition de mon texte. Il reste des imperfections, je le sais, et il me l’a écrit depuis, mais il faut accepter ses limites et cela permettra peut-être à d’autres de me proposer leur propre pastiche de Mauvignier, sûrement meilleur. Ils sont les bienvenus.

Il finit son petit mot avec ceci, répondant à ma question sur ses impressions : « C’est assez étrange l’impression que ça fait, de se lire dans un miroir. »

FG

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