Pastiches
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Chercher Garnerin

vendredi 21 juin 2013

Je n’ai plus de nouvelles de Xavier Garnerin depuis des mois, il n’a pas répondu à mes derniers e-mails où je lui demandais d’expertiser une proposition de pastiche de Beckett. Je l’imagine très bien dans sa maison en Bulgarie auprès de ses tomates relisant le dernier Chevillard en attendant le prochain Pynchon. J’ai donc décidé de lire son recueil de pastiches, Chercher l’intrus, aux éditions du transat.

Du goût
Son recueil impressionne déjà par la liste des écrivains pastichés. Dans l’ordre : Samuel Beckett, Jean-Luc Benoziglio, Thomas Bernhard, Olivier Cadiot, Éric Chevillard, Chloé Delaume, Marguerite Duras, Gustave Flaubert, Julien Gracq, Jean de La Fontaine, Éric Laurrent, Pierre Michon, Christian Oster, Marcel Proust, Thomas Pynchon, Alain Robbe-Grillet, Andrew Thomson, Antoine Volodine. Cette liste donne le ton.

Si l’on s’attache au titre des pastiches, on s’aperçoit qu’ils sont tous constitués de pour suivi du nom de l’écrivain pastiché. Ainsi, il n’écrit pas Contre Sainte-Beuve mais pour Marcel Proust. Ce recueil est un hommage, un panthéon d’écrivains qui placent le style au centre de leur travail.

Avec Garnerin, nous avons affaire à un homme de goût, un homme de style.

Des raconteurs d’idées
Rappelons que Garnerin se revendique de la « littérature du vide », où les personnages, les lieux et les histoires sont du gras qu’il faut éliminer, jusqu’à l’os. L’écrivain comme un équarrisseur. Ce qu’il partage avec Chevillard (décidément, on ne sort pas de l’abattoir) qui adopte la soustraction dans ses livres, un monde sans Nisard, sans orang-outan, sans espoir (sauf pour les punaises de Choir), sans Dino Egger, où les personnages n’ont pas de vie, pas de psychologie, juste créés pour la démonstration de l’auteur, jetés aussitôt celle-ci achevée. D’ailleurs, on peut lire à la page 69 de Sans l’orang-outan : « Alors nous éliminons. Par la pensée, nous vidons le monde de sa matière et des créatures qui le peuplent encore. Nous finissons le travail. » À l’instar de Chevillard, Garnerin n’est pas un story teller, c’est un raconteur d’idées. Du style et des idées : une définition de la littérature qui en vaut d’autres. Fermons la parenthèse Chevillard.

Du savoir-faire
Garnerin est-il un bon pasticheur ? On peut déjà se faire une idée en relisant les 6 pastiches publiés sur ce site (5 figurent dans le recueil, le pastiche de Chevillard est inédit). Ensuite on peut demander à des spécialistes ce qu’ils en pensent. Prenons Claro, l’un des traducteurs de Pynchon (autant dire que lorsqu’on pastiche Pynchon en français, on pastiche les traductions de Pynchon). N’ayant aucune compétence en Pynchon (honte à moi !), j’avais demandé à Claro d’expertiser le pastiche de Garnerin. Voici son commentaire : « très impressionnant, tous les ingrédients sont là, le rythme est juste etc ». Prenons un autre expert : Olivier Cadiot, sûrement l’un des meilleurs spécialistes d’Olivier Cadiot. En 2008, il commentait lui-même sur le blog Mot Compte Double le texte de Garnerin pour Olivier Cadiot :

impressionnant !
mourir de rire !
très réussi !
bravo !
je vais essayer de ré-imiter ça à mon tour mais ça va être dur

clic-clac

amicalement

De l’humour
Comme pour Pynchon, je n’ai jamais lu Jean-Luc Benoziglio ni Pierre Michon. Je suis bien incapable de dire s’il les a bien pastichés. Mais le pastiche n’est pas qu’une affaire d’érudits, c’est surtout du jeu, de l’humour. Et l’on se marre en lisant ces pastiches. Avec Beckett, par exemple, c’est le soin apporté dans la description minutieuse d’une scène banale, avec Thomas Bernhard c’est l’exagération du style avec ses répétitions, avec Benoziglio c’est comment il rend Napoléon humain (bref, cul et alcool), dans Proust c’est la transposition des personnages de la Recherche dans un supermarché à la recherche de saucisses pour le BBQ. Et dans tous les textes, ce ton décalé, irrésistible.

¡Cuidade ! I gonna spoil !
Avec son recueil, Garnerin nous a refait le coup de l’auteur inventé. Vous avez certainement identifié parmi la liste un auteur inconnu, l’intrus. Comme Pierre Louÿs qui, en 1894, avait inventé la poétesse grecque Bilitis pour une fausse traduction de poèmes lesbiens, Garnerin a créé le style d’un écrivain imaginaire. Car non content de maîtriser l’art du pastiche, d’identifier les marqueurs d’un style, Garnerin est aussi un générateur de styles, un méta-écrivain en somme.

Et la métrique, bordel !
On va finir par croire qu’il m’a payé pour que je dise du bien de son recueil. Alors parlons de La Fontaine. Mon seul bémol concerne les alexandrins de sa fable qui ne respectent pas tous la prosodie classique. Un simple problème de corrections, je pense. Mais pour moi qui peux être chiant perfectionniste, c’est important de respecter les contraintes de l’auteur pastiché et La Fontaine, quoi qu’on en dise, on peut pas trop le reprendre sur ses alexandrins. (Je me rends compte que c’est aussi La Fontaine qui posait problème à Héléna Marienské.)

À rebours
Terminons par une particularité des éditions du transat. Comme avec le recueil de la première saison des 807, la pagination de Chercher l’intrus se fait à rebours, de la page 174 à la première. Car avec Garnerin on ne capitalise pas, on n’amasse pas, mieux vaut savoir ce qu’il nous reste, à lire, à vivre. Ils nous dit : voici la littérature, après ça, après ces auteurs, il n’y a plus rien. Solde de tout compte. Quand on termine la lecture de son recueil, pour citer son pastiche de Beckett, on « arrête mieux ».

Amis du pastiche, vous l’avez compris, vous n’avez pas le choix : achetez ce recueil ! Je ne peux pas vous prêter mon exemplaire, j’ai promis à Claro de lui offrir.

FG

Voir en ligne : Chercher l’intrus, Xavier Garnerin, éditions du transat

2 Messages de forum

  • Chercher Garnerin 21 juin 2013 21:04, par Xavier Garnerin

    Bouclons rapidement la boucle : merci Franck.
    Je n’ai jamais rencontré Franck Garot de visu, à tout le moins avons-nous échangé dans les diverses modalités de l’Internet. Au terme d’un conte, il aurait pu devenir mon ami, histoire d’incrémenter un compteur.
    Je ne participe pas à ce genre de chose, ne cherche jamais à accroître le tas, d’ailleurs en ce qui me concerne inexistant, vu que le comte Facebook m’insupporte.
    Pour autant je décrète en ce jour Franck Garot mon ami, non parce qu’il a appuyé sur le bouton ad hoc, mais parce qu’il m’a fait le retour, très argumenté et long, de ce que j’ai essayé de faire et de dire (on peut toujours mieux faire et mieux dire) dans cette chose qui n’est pas un livre, mais une compilation.
    Donc Franck merci, ne serait-ce que du fait que je ne ressens aucune nécessité dans ce que tu dis de bouger un mot ou une phrase. Message reçu à 100 %.
    Peut-être que nos véritables amis se trouvent là, dans leur capacité à comprendre ce qu’on veut leur dire, dans leur capacité ce faisant à faire éclater la bulle de la solitude, et peut-être est-ce aussi pour ces raisons qu’on ne les compte que sur les doigts de la main.
    Je ne sais pas si ce recueil est bien dans l’absolu, et je ne le prétendrais en aucune manière (d’ailleurs ce n’est pas la première fois que La Fontaine arrive dans la critique, erreur de ma part où j’ai confondu blague de potache et pastiche – et pourtant ça reste drôle, une fable intitulée Le mouton, le mouton, le mouton et le mouton), mais ce que je suce comme un bonbon depuis que j’ai découvert cet avi, c’est que l’ensemble ait été reçu.
    J’essaye de faire le boulot, si je compte en vrai de vrai aujourd’hui pour six personnes. J’aimerais plus. Mais si tout ce blabla n’est juste que pour acheter un truc aux Éditions du Transat, par simple curiosité, par pitié n’achetez pas.

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