Pastiches
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Ceci n’est pas une pipe

jeudi 10 janvier 2013

En 2008 paraissait le Degré suprême de la tendresse, un roman en pastiches, par Héléna Marienské aux éditions Héloïse d’Ormesson. Céline, Houellebecq, la Fontaine, Ravalec, Angot... déclinent un fait divers authentique. En quelques mots : un couple éméché qui veut passer du flirt au coït, commence son affaire dans un coin tranquille, puis l’homme force sa partenaire à pratiquer une fellation. Celle-ci, visiblement pas consentante pour cet acte-ci, lui croque le membre et en coupe net le gland.

Marienské utilise ce fait divers pour écrire un livre féministe, louons sa démarche. Elle décide d’écrire son roman en pastiches, relouons-la (surtout sur ce site !). Et il faut admettre que ses pastiches sont de bonne tenue.

Pour moi, la plus grande réussite, c’est celui de Vincent Ravalec. On retrouve les thèmes et, d’après mes souvenirs, le style de l’auteur du Cantique de la racaille, d’Un pur moment de rock’n’roll. Du trash donc, mais du trash drôle. Ce texte m’a donné envie de relire Ravalec. J’ai aussi adoré celui de Gédéon Tallemant des Réaux, auteur que je ne connaissais pas et qui fut, semble-t-il, avec ses Histoiriettes une vraie langue de pute un chroniqueur éclairé des grands de ce monde sous les règnes de Henri IV et Louis XIII. De même, le style est très proche de l’original. La lettre de Céline est aussi très réussie (vocabulaire, ponctuation, ...). D’ailleurs, nous l’avons publiée ici. Ces trois textes valent l’achat de ce livre.

Marienské a aussi parfaitement pastiché Houellebecq et Angot. Malheureusement ! On comprend qu’avec les propos dans ses romans et ses interviews, Houellebecq soit une cible de choix pour Marienské. Mais fallait-il nous infliger 50 pages du style houellebecquien ? On se retrouve ainsi avec un condensé de ses romans : thèmes identiques (provocation, frustration sexuelle, minabilisme, misogynie, racisme, etc.) et même style atone. Bref, c’est moins drôle que Ravalec. J’aurais grandement préféré qu’elle nous propose un pastiche décalé pour prendre un sain recul, en changeant par exemple l’époque, le milieu social... De même pour le pastiche de Angot qui, par rapport à celui de Houellebecq, a l’avantage de la brièveté. Deux très bons pastiches, mais d’auteurs que je ne trouve pas passionnants (surtout Angot qui comme Verlaine s’autopastiche, mais contrairement à Verlaine, involontairement), d’un point de vue du style.

Enfin, j’ai décroché pour la Fontaine, principalement à cause de la métrique. Bien sûr, le fabuliste s’autorisait des exceptions au couple alexandrin-octosyllabe ou à l’heptasyllabe, qu’il affectionnait. Elles permettaient l’accentuation (« Tout l’été », dans la Cigale et la fourmi), la respiration. Mais ici, la lecture de la fable est rendue difficile à cause de trop nombreux changements de rythme : 3, 5, 6, 7, 8, 12, 13 (exemple avec le dernier vers : « À mon Roi des Belettes : il le donna au Chat. », à plusieurs reprises j’ai compté des alexandrins de 13 pieds), et encore je lui donne le bénéfice du doute sur les diérèses (classiques ou avec licence) dans mes comptages. De même, je n’ai pas apprécié à leur juste valeur les pastiches de Perec : les contraintes successives, à commencer par celle de la Disparition, me rendent le texte illisible. J’applaudis la prouesse technique, cependant, comme lecteur je ne m’y retrouve pas.

Héléna Marienské est sans aucun doute une pasticheuse talentueuse. Elle a peut-être voulu rendre des comptes avec des auteurs comme Houellebecq et Angot mais la charge ne donne pas les meilleurs pastiches. Pour moi, comme c’est le cas avec Ravalec, Tallemant des Réaux et Céline, le pastiche se doit d’être un jeu avec les auteurs, et avec les lecteurs.

FG

Voir en ligne : Le Degré suprême de la tendresse, éditions Héloïse d’Ormesson

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