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Apprendre en pastichant Jehan-Rictus

mardi 27 novembre 2018

La revue Chiendents a publié en janvier 2017 un numéro sur le poète Jehan-Rictus. Ce numéro comporte nombre de pastiches écrits par les étudiants de Maëlle Levacher.

Des vertus pédagogiques
Les écrivains font souvent leurs armes en pastichant. Se confronter au style des illustres prédécesseurs permet de forger sa propre voix. Bien connaître les autres pour mieux s’en détacher.

Les enseignants ont aussi compris depuis longtemps les vertus pédagogiques du pastiche et l’utilisent lors des exercices de composition. Au baccalauréat, par exemple, on propose aux candidats des sujets d’invention qui consistent à écrire à la manière de... Même si la finalité de ces exercices est de mieux comprendre les textes littéraires et non d’apprendre à écrire, il n’en reste pas moins qu’ils sont souvent pour les élèves une première sensibilisation à l’écriture de pastiches.

Ainsi, Maëlle Levacher, qui avait inauguré la rubrique Francis Ponge de ce site, utilise régulièrement La Bruyère ou Buffon dans le cadre des cours d’ « écriture créative » qu’elle dispense. En 2015, avec ses étudiants de l’Institut Supérieur d’Agriculture (ISA Lille), elle a utilisé l’œuvre peu connue de nos jours du poète Jehan-Rictus.

Poète des pauvres
Jehan-Rictus (1867-1933), considéré abusivement comme poète anarchiste (il fut aussi vaguement royaliste), serait davantage le poète des pauvres. Il compose au tournant du XXe siècle Les Soliloques du Pauvre, des poèmes en « faubourien » (langue populaire des faubourgs de Paris) qu’il « gueule » dans les cabarets. Il a un temps quelque succès mais sa vie n’a jamais été facile, et ce depuis son enfance. Les premiers vers de « L’hiver » qui ouvre Les Soliloques du Pauvre [1], inspirés de son expérience de la rue, n’ont hélas rien perdu de leur actualité :

Merd’ ! V’là l’Hiver et ses dur’tés,
V’là l’ moment de n’ pus s’ mett’ à poils :
V’là qu’ ceuss’ qui tienn’nt la queu’ d’ la poêle
Dans l’ Midi vont s’ carapater !

V’là l’ temps ousque jusqu’en Hanovre
Et d’ Gibraltar au cap Gris-Nez,
Les Borgeois, l’ soir, vont plaind’ les Pauvres
Au coin du feu… après dîner !

Et v’là l’ temps ousque dans la Presse,
Entre un ou deux lanc’ments d’ putains,
On va r’découvrir la Détresse,
La Purée et les Purotains !

Cette intemporalité — et cette humanité — a poussé le rappeur Vîrus à adapter l’œuvre du poète. Il a publié en mars 2017, un livre-disque [2] avec des extraits des Soliloques avec la participation de Jean-Claude Dreyfus sur trois titres.

Pour plus d’information sur Jehan-Rictus, en complément de ce numéro de Chiendents, je vous conseille la page que Christian Tanguy lui a consacrée sur son site Florilège.

Un bel hommage
Les éditions du Petit véhicule nous proposent donc avec ce numéro de Chiendents un bel hommage à Jehan-Rictus.

Maëlle Levacher nous y parle de sa relation — familiale — avec l’œuvre du poète, puis nous donne quelques éléments biographiques avant de nous présenter quelques-uns de ses poèmes. Ensuite, elle nous explique pourquoi elle utilise le pastiche pour enseigner et nous donne à lire des pastiches composés par ses étudiants au cours de ses ateliers d’ « écriture créative ».

Bien entendu, ces pastiches ne sont pas parfaits, ils ont été écrits par des novices en écriture et en un temps très limité, à savoir 2h30 pour découvrir la poésie de Jehan-Rictus et pour écrire un poème. Néanmoins, malgré cette contrainte de temps, Claire Trémoulière nous offre avec ses « Vieux jours » un pastiche particulièrement réussi. De même, j’ai trouvé celui-ci très intéressant :

La misère des rues

Oh ! r’viens-là toi ! Pour qui t’ prends-tu ?
Z’avez vu m’sieur ? c’te salopiot ?
J’ tourn’ le dos, et il pique mon sac !
Voleur ! Voleur ! Ramèn’-le moi !
Des coups d’ savat’ faudrait lui mett’.
C’était ma vie ma ’tit’ sacoche,
Un’ bouteill’ neuv’ qu’i’ avait d’dans,
Et j’ai p’us d’ sous, j’ peux p’us grailler.
C’est nous qu’on pill’, nous aut’, pov’ gens !

Claire Collot

Bien entendu, Maëlle Levacher s’est aussi prêtée au jeu avec trois longs poèmes dont « L’Embernerie » duquel je reproduis ce petit extrait que j’aime beaucoup :

Bref, sa famille, à ç’tte môm’-là,
c’est des gens... C’est pas très glorieux.
Mais bon, on juge, on dit “ceux-là”,
on dit comment qu’i’ d’vraient fair’ mieux,
et on s’ fait pas la réflexion
qu’y a pas d’ maman dans ç’tte maison.

Remercions Maëlle Levacher d’ainsi nous présenter l’œuvre du poète et de prouver par l’exemple les vertus pédagogiques de la pratique du pastiche.

FG

Chiendents n° 117, Maëlle Levacher, « Un Chœur populaire : Jehan-Rictus en pastiches aujourd’hui », 44 pages, 10 euros

Voir en ligne : Un Choeur populaire : Jehan-Rictus en pastiches aujourd’hui par Maëlle Levacher

Notes

[1] Jehan Rictus, Les Soliloques du Pauvre, P. Sevin et E. Rey, librairies-éditeurs, 1903 (5e éd.), lien wikisource

[2] Vîrus x Jehan-Rictus, Les Soliloques du Pauvre, Rayon du Front, 20 euros, lien label

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