Pastiches
Autour du pastiche    Bibliographie   À propos de ce site   Licence  
Accueil du site > Alain Robbe-Grillet > Pour Alain Robbe-Grillet

Pour Alain Robbe-Grillet

jeudi 15 décembre 2011, par Xavier Garnerin

Dehors il pleut. Au-delà du verre grossièrement sablé de la fenêtre circulent, aléatoirement à l’échelle de la minute mais continûment si les heures passent, des octogones de couleur principalement noire (à diverses hauteurs dont la moyenne pourtant approxime un mètre soixante-quinze à partir du sol de la pièce, sol qui, poussée la porte, s’avère d’un niveau quasi identique à celui de l’espace immédiat de la rue ; en effet, seul un petit ressaut, piégeux pour qui n’y accorderait pas une attention et d’à peine un ou deux centimètres, l’en sépare). La géométrie de ces figures, se déplaçant aléatoirement de la droite vers la gauche ou inversement, se précise toutefois sans que l’on sache s’il s’agit d’un constat, que l’opalescence de la vitre permet peu, ou de la projection d’un savoir – sans que pour autant ce dernier soit sûr –, se précise donc en cela que chacun de leurs sommets est relié au suivant par un arc concave, tant dans le plan horizontal que vertical, créant ainsi huit gouttières recevant la pluie, la faisant légèrement rebondir, puis la canalisant, pacifiée, vers le sol de bitume qui la conduit au caniveau, puis à l’égout, puis au fleuve.

Dehors il pleut mais, par le verre grossièrement sablé de la fenêtre circulent parfois des octogones de couleur bleue et rose, (à une hauteur toutefois moins conséquente que celle des noirs), lesquels sont entachés de formes floues s’apparentant assez fréquemment au profil d’un canard mâle stylisé, ou d’une souris femelle. Il n’est cependant pas possible d’en déduire qu’à l’extérieur se développerait une forme de vie plus heureuse, ou en tout cas moins problématique que celle que subissent usuellement la longue enfilade grise des façades des immeubles et la luisance bombée de l’asphalte, soumise de l’aube au soir au déluge et que strient un court instant les deux erres parallèles que produit le cheminement hâtif des quatre pneus d’une automobile.

À l’intérieur de la pièce, décorée essentiellement de glaces excipant en leur partie basse de différentes graphies publicitaires, les unes travaillant la typographie plutôt dans une approximation ovoïdale, les autres insistant sur leurs enclins pour l’orthogonalité, les troisièmes usant de stratagèmes, certes beaux mais d’une complexité telle qu’il n’est plus possible d’en faire le récit, parce que variables, se déploie sur plusieurs mètres une vaste planche polie à la manière d’une piste de bowling mais sur laquelle on peut maintenant déceler, par-delà sa pureté originelle, différentes traces, de petites ruptures dans la continuité, des scories dont le désordre ne peut pas n’être dû qu’au hasard. Ainsi, sur l’acajou se succèdent-ils plusieurs rectangles aux bords arrondis et de carton épais. À leur surface se développent à nouveau d’autres écrits, des textes courts, souvent elliptiques de leurs verbes et compléments – Heineken, Budweiser, 1664 –, tout un univers que recouvre le moiré humide de cercles de taille identique dont le fréquent décalage fait qu’ils s’intersectent, permettant ainsi de leur décompte mais sans que l’on puisse affirmer, confronté à un unique exemplaire, si ce dernier est apparu en une fois ou s’il n’est que le produit de la superposition exacte de plusieurs.

Dehors il pleut mais, au-delà du verre grossièrement sablé de la fenêtre, qu’interrompt toutefois l’inscription en creux, c’est-à-dire d’une transparence cette fois-ci habituelle aux vitrines, d’un monogramme contourné dont la finesse et l’entrelacs ne permettent cependant pas de mieux percevoir l’extérieur, différents octogones passent de droite et de gauche, gagnant non pas en précision mais en densité lorsqu’ils traversent ce même motif, lequel pourra ainsi, pour qui s’y intéresse, être mieux déchiffré. Mais, parce que son message est destiné à être lu, selon une logique purement commerciale, par qui sera situé du côté inverse de celui à partir duquel on peut actuellement en faire état, devra-t-on se borner à n’en retenir que ceci : eraG al ed eiressarB.

À l’intérieur de la pièce, au fond de laquelle un miroir assez grand quoique peu éclairé permet, à qui s’intéresse à la question, de lire à l’endroit l’inscription de la vitrine (à savoir Brasserie de la Gare), des parallélogrammes de plastique épais, creusés sur leurs arêtes supérieures de quatre gouttières, et non huit comme au dehors, et eux aussi comme soumis sur leurs faces verticales comme en leur centre à une sorte d’hurlante et tapageuse graphomanie, s’emplissent continûment des reliquats de cylindres au bout terminal jaunâtre lesquels, avant d’y finir, ont contribué à générer une fumée de plus en plus épaisse qui envahit l’espace, annihile la perception des détails et ne permet que de plus en plus difficilement de lire Brasserie de la Gare dans le miroir du fond ce qui, si l’on s’intéresse à ce point particulier du récit, risque de causer à terme un tort considérable à la littérature.

Dehors il pleut mais il n’empêche, et sans doute du fait du piégeux petit ressaut d’à peine un ou deux centimètres qui sépare le niveau du trottoir de celui de la pièce, la porte s’ouvre et une forme, au début alerte, se propulse et s’affale sur le plancher, le parallélisme de celui-ci s’interrompant alors pour strier virtuellement une vaste chiffe marronâtre sous laquelle il est possible d’imaginer, quoique non régulière, une forme en sorte de croix, alors que dans le même temps par la porte encore ouverte arrivent, salutaires, quelques bouffées d’air frais.

Il n’empêche, à l’intérieur de la pièce indifférente s’agitent voire se remplissent diverses formes géométriques allant du cylindre pur au cône tronqué inversé, mais ayant toutes pour constante l’absence de surface sommitale, laquelle leur permet d’être remplies de liquides dont les diverses couleurs ne chatoient pas, mais sont tout de même traversées par les lumières qui encadrent l’espace dans lequel officie un certain D. D., dont l’appétence pour la polychromie va jusqu’à remplir de nouveau chaque volume qui, pour une raison ou une autre, subitement se départirait de son vert, de son jaune, de son rouge ou de son brun originels.

Dehors il pleut mais à ce stade du récit force est de remarquer que dans la pièce intérieure on commence à s’en soucier de moins en moins, d’autant que la chiffe marronâtre, s’étant relevée et pour ainsi dire guillerette, s’est approchée de la vaste planche polie comme un bowling pour, au milieu des diverses scories qui la jonchent et posent encore question, y adjoindre quelques rectangles de papier s’inscrivant moins aisément dans le plan que le reste mais sur lesquels se lisent aisément des chiffres – dix, vingt, cinquante –, auxquels succède la mention euro (orue dans la glace), lesquels disparaissent rapidement derrière la planche de bowling avec pour effet que les couleurs chatoient de façon encore plus constante.

– Tournée générale, a dit la chiffe.

(Du coup il nous faut arrêter là. Supprimer cet intrus, et aussi D. Gommer les embryons de vie qui se sont, à notre insu, institués dans ce roman nouveau. Se contenter plus spécifiquement des cendriers.

Déchirer ces pages et tout reprendre. Sobrement, mais jusqu’à ce que cela tourne dans nos têtes.)

Dehors il pleut. Au-delà du verre grossièrement sablé de la fenêtre circulent, aléatoirement à l’échelle de l’heure mais continûment si les semaines passent, des dodécaèdres et demi, etc.

– On remet ça, dit la chiffe. Pour la route. Pour la blanche nouvelle. Le blanc nouveau.

1 Message

Répondre à ce pastiche

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | Réalisé par rature.net